Pierre De Loor, alias 3.14Air, est un auteur, compositeur et musicien. Depuis maintenant une vingtaine d’années, Pierre fait partie du groupe breton pop rock LeïKa. Sous le nom de scène 3.14Air, il a enregistré son premier album, L’espace d’un instant, avec le label Par delà la nuée. Sorti en 2022, celui-ci est disponible sur toutes les plateformes. Le groupe LeïKa sera de passage sur les planches de La Raskette le vendredi 30 juin 2023. Pour l’occasion, j’ai rencontré Pierre afin de découvrir son univers musical et l’histoire de LeïKa.
Et puis un jour, on arrive à un âge où on a envie…
Quand as-tu découvert la musique comme passion ?
« Je suis pianiste depuis très jeune, j’ai demandé à faire du piano quand j’étais enfant, vers 6-7 ans. Du piano classique au départ, plus tard du jazz et après de la pop ! »
Peux-tu nous raconter comment est né Leïka ?
« Quand je suis arrivé sur Brest, je voulais trouver une formation de jazz. Je voulais changer du classique pour m'ouvrir à d'autres choses. Le classique c’est pas simple, c’est quelque chose d’assez exigeant, je n’avais plus le temps. J’étais dans un autre rythme professionnel et j’avais envie de découvrir le jazz. Je faisais déjà des compos et je ne savais pas trop comment les classer. Dans les années 2000, j’ai participé à un atelier de Jazz, qui s’appelait Ça va jazzer, dans une Maison Pour Tous de l’Harteloire à Brest. C’est là que j’ai rencontré deux des futurs musiciens de LeïKa.
Sous le nom de Kapla, on a commencé par faire des reprises jazz, puis des reprises de chansons françaises et progressivement j’ai osé leur proposer mes propres compositions. LeïKa est apparu quelques années après. Au début, on aurait pu classer notre groupe dans la chanson française. Progressivement, on a eu envie de faire un peu plus dynamique. Il faut dire que notre batteuse vient du rock ! Aujourd’hui, en concert, on ne joue plus que des compositions originales. On fait quelques reprises à l’occasion, ce n’est pas non plus interdit, mais on essaye de proposer des textes originaux. »
Quelles sont tes inspirations ?
« C’est compliqué parce que je ne suis pas tout jeune… J’avais des inspirations plutôt de pop française, je suis de la génération des gens qui écoutent Alain Souchon. Je m’inspire aussi de la pop anglaise, mais ce n’est pas majoritaire. Je m’inspire plus particulièrement de Louis Chedid, Jacques Higelin, Brigitte Fontaine, Barbara ou encore Alain Bashung.
Dans les années de ma jeunesse, on découvrait la musique électronique avec - un intellectuel dirait Pierre Henry, mais à l’époque c’était - Jean Michel Jarre, le petit prodige de la musique électronique, qui m’est resté. J’ai acquis mon premier synthé analogique très jeune, en plus du piano.
Aujourd’hui, j’ai d’autres influences, des groupes comme Feu! Chatterton, mais aussi Bertrand Belin, Arthur H - qui descend de Jacques Higelin, c’est la même famille - Albin de la Simone, Dominique A, Alex Beaupain ou encore Françoiz Breut ! Je continue à être influencé par des plus jeunes et à suivre l’actualité. »
Comment définis-tu ta musique ?
« C’est toujours difficile de se définir soi-même, mais ceux qui m’en parlent considèrent que c’est de la pop assez rock. LeïKa, en tout cas, c’est pop-rock, 3.14 Air c’est plutôt électro-pop. Les paroles sont considérées comme poétiques, mais engagées. Non pas engagées au premier degré, elles ne dénoncent pas quelque chose de façon explicite, mais plutôt implicite, c’est-à-dire derrière les textes. Notre guitariste m’a dit, hier, que je fais de la poésie impressionniste. Je pense que ça veut surtout dire que les paroles suggèrent des choses, c'est de la poésie quoi ! »
Quel est ton plus grand rêve ?
« Qu’est-ce qu’un grand rêve ? On pourrait avoir des ambitions énormes, mais moi j’aimerais bien être dans une pièce où les gens écoutent ma musique, sans savoir que c’est moi. J’aimerais voir comment ils la reçoivent, que ce soit les textes ou la mélodie, en totale méconnaissance du fait que j’en suis l’auteur. J’aimerais savoir comment les gens perçoivent réellement ma musique. En général, c’est des amis qui m’en parlent, en bien, mais ils ne disent peut-être pas tout ce qu’ils pensent. J’ai aussi de bons retours avec la presse, mais j’aimerais faire "la petite souris" parmi les discussions. Alors, est-ce-que c’est un grand rêve ou un petit caprice ? Je ne sais pas ! »
À quel endroit vas-tu pour te ressourcer ?
« Je vais me balader au bord de la mer. Je viens du nord de la France, là où il n’y avait pas la mer. Quand je suis arrivé ici, c’était une véritable motivation de n’être pas loin de l’océan. Pouvoir aller se balader au bord de la mer, c’est la ressource principale ! J’aime particulièrement la côte nord, Porspoder, Portsall, tout le Finistère nord. Après, je connais bien l’île de Groix, c’est bien aussi, mais c’est plus loin ! Et sinon, aller voir un bon concert aussi c’est autre chose ! »
Qu’est ce qui t’as marqué le plus artistiquement ?
« Ce qui m’a marqué le plus artistiquement, ce n’est pas forcément musical. Il y a des spectacles de cirque sans animaux que j’ai pu voir au Quartz, je ne me souviens plus du nom des troupes en question. C’est du spectacle vivant qui peut-être entre la musique, la danse et le cirque. Parfois avec très peu de texte, voire pas du tout, on peut percevoir des choses assez intenses.
Ce qui m’a marqué le plus en musique, j’avoue que ce serait les concerts de mes chanteurs préférés qui sont emballants. Il y a ceux qui vous emmènent parce qu’ils savent parfaitement "gérer" une foule, entre un Higelin ou Bertrand Belin, que j’ai vu dernièrement à la Carène. Après, il y a ceux qui vous livrent une véritable performance. C’est plutôt dans le jazz qu’on peut voir des performances techniques musicales. Par exemple, Anne Paceo à la batterie ou Avishai Cohen à la contrebasse. Tous ces gens là vous envoient loin quand on écoute leur musique. Par contre, je n’ai pas un spectacle en particulier qui me vient à l’esprit. Je me souviens d’un des premiers concerts d’Higelin à Paris, où il nous a pris, comme si on était dans un bateau. On dansait tous, il y a même des gens qui sont montés sur scène. C’est quand même extraordinaire, sur une scène énorme, à la Vilette je crois, une ambiance de fête extraordinaire. Ça m’a marqué, mais aussi parce que c’était l’un de mes premiers concerts, quand j’étais jeune. Après on voit des concerts impressionnants, par exemple Shaka Ponk, c’est un spectacle technique extraordinaire, mais comme on en a vu d’autres, on est moins impressionné à mon âge. Par contre j’imagine qu’un jeune qui voit Shaka Ponk ou Feu! Chatterton pour l’un de ses premiers concerts, ce doit être inoubliable pour lui. »
Quels groupes ou artistes inconnus devrait-on suivre ?
« Magenta, un groupe qui mêle électro et chanson française. Les paroles sont vraiment sympa, j’aime beaucoup. C’est l’un des derniers groupes que j’ai découvert. J’en découvre beaucoup, notamment grâce à mon abonnement au FrancoFans, le magazine des chansons françaises indépendantes. Je pourrais citer Alex Beaupain, Marie Flore, La Pieta et Maud Lubeck, aujourd’hui déjà bien connus, mais je citerai plutôt des artistes du coin comme Sterenn Alx ou Vermeil. »
Quelle est ta meilleure expérience ?
« Ce qui me plait, c’est écrire une chanson en une traite ! Il y a un truc qui me vient, souvent ça part vraiment de trois mots qui s’alignent, qui groovent, qui rythment et qui évoquent une émotion. Je me dis "tiens, ça je le sens bien !" et en une heure c’est plié. Après, il y a un an de boulot pour faire le bon arrangement… mais le texte et la mélodie peuvent être fais en une heure et ça, c’est une expérience assez jouissive.
Après, on se rend compte que ces chansons-là, même si elles ne sont pas connues internationalement, loin de là, elles restent ! C’est-à-dire que, même dix ans après, on peut les chanter et avoir des gens qui vont les reprendre. Et c’est sympa, alors qu’elles ont été écrites comme ça, sur un coup de tête. Ça, c’est une super expérience. »
Quels conseils donnerais-tu à un amateur de musique qui voudrait se lancer ?
« Alors, pour moi, on a toujours beaucoup de mal à savoir si ce que l’on fait est bien ou pas. On a aussi beaucoup de mal à savoir, quand on veut se faire "connaître", comment faire. On est dans un milieu hyper compétitif, compliqué et qui évolue constamment. Tous les ans, les règles du jeu changent un peu. Pour les artistes indépendants, c’est très dur puisqu’en général ça va être les gros labels, les grandes maisons de disques, qui auront la puissance de communication et qui vont aussi sélectionner énormément les bons artistes. C’est une industrie. Il ne faut pas perdre de vue le fait que l’on peut faire de la musique pour soi, et c’est très bien, mais que si l’on veut vraiment percer, il faut bien réaliser qu’il s’agit d’une industrie, avec des règles. Il ne faut pas partir tout seul, c’est casse-tête.
Au début, je me suis fait accompagner par la structure Microcultures, une entreprise qui aide les artistes. À la Carène à Brest, il y a des gens qui connaissent très bien le système. Il y a des soutiens locaux, régionaux ou nationaux, et donc il est possible de s’inscrire, de sortir et d’aller voir les gens pour leur parler. On ne peut pas, tout seul, du jour au lendemain, envoyer son morceau sur Spotify et devenir une star internationale. Ça, c’est dans les rêves ! En réalité, il faut creuser son sillon, à son rythme… Pour moi, qui ai commencé tard, je n’irais sans doute pas très loin, mais c’est le chemin qui compte, pas le but ! Avant je faisais de la musique pour moi, point-barre. Quand on regarde un petit peu à se faire connaître, il faut découvrir l’industrie du disque et l’industrie de la promotion, tout ça fait partie du jeu. Surtout, c’est petit-à-petit, c’est pas-à-pas, qu’on y arrive. C’est vrai qu’une fois que quelqu’un vous connaît, un journaliste, un attaché de presse, qui aime un de vos disques et qui voudrait vous aider à défendre le suivant, ça se fait. C’est important de se faire un petit réseau.
Il ne faut pas avoir peur d’être nul. On est pas nul, on est juste pas forcément au goût de tout le monde. Il faut garder sa propre identité et ne pas vouloir calquer son travail sur les autres. Les autres existent déjà. Les artistes connus, on ne fera pas mieux qu’eux car, une fois qu'ils sont soutenus par l'industrie musicale, ils ont des moyens qu'un artiste indépendant n'a pas et qui leur permettent d’accélérer la qualité et la créativité de leur travail. Il faut trouver son propre style et oser le proposer en public. En général, on est rarement déçus, on a toujours des gens qui sont enthousiastes parce qu’ils découvrent quelque chose de nouveau ! »
Cela m’amène à une question bonus… Quel a été ton déclic : quand as-tu su que tu voulais partager ta musique avec les autres ?
« On se dit toujours "est-ce-que c’est bien ou pas ?", n’importe qui a envie de voir si ce qu’il fait plait, si ça a une certaine valeur aux yeux des autres. C’est un peu une question d’égo, sans forcément qu’on ait envie d’en gagner sa vie, j’ai par ailleurs un métier à côté. L’envie de produire un album, le fait de tendre vers la médiatisation, je dirais que c’est arrivé avec la cinquantaine. Ce qui m’a fait réaliser, c’est le fait de me dire que si je ne le fais pas maintenant, je ne le ferai jamais… et je le regretterai peut-être tout le reste de ma vie ! Je me suis dit qu’il fallait y aller et qu’on verra bien si ça marche ou pas !
J’étais inquiet, même si j’ai eu plein de bons retours, que mes amis de LeïKa reprennent mes chansons, qu’on fait des concerts à cinq et qu’en quelques années, j’ai quand même tissé mon petit réseau local. LeïKa tourne depuis 20 ans, le groupe est connu des amateurs de musique indépendante, des amateurs de groupes semi-pro. On a plus trop d’efforts à faire pour se faire connaître à Brest. Je me suis dit que j’allais me mettre un peu plus en avant en prenant ce petit risque avec 3.14 Air… et ça a bien marché ! Ça s’est bien passé pour l’album, donc je vais continuer. Le déclic c’était vraiment se dire "c’est maintenant ou jamais". Et puis un jour on arrive à un âge où on a envie…
Avec LeïKa, on a fait une quarantaine de concerts, on a tout le temps fait de la musique, on a quand même ce plaisir de jouer sur scène mais sans l'envie d'aller plus loin au départ. Le fait d’aller voir à l’extérieur, d’aller voir les pros, d’envoyer notre musique aux radios, d’aller voir les journalistes, et puis ensuite d’être mis en playlists, interviewés, chroniqués, ça nous rend super contents ! Ça prend du temps, il faut rencontrer les gens et voir si le courant passe. Je suis passé au Cube Studio à Brest chez Mercier Musique, on avait fait les voix, je me suis fait aider pour le mixage. Maintenant, j’aimerais bien pouvoir faire un album où tout LeïKa jouerait. Dans les albums de 3.14 Air, je fais tout moi-même, je peux y passer des heures, j’adore le travail de studio. Avec LeïKa, on a fait des maquettes à la Carène mais faire un album complet prendrait beaucoup de temps que tous n’ont pas forcément dans le groupe. »
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